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5 Questions à Bruno Giboudeau, vétérinaire praticien dans le Jura Une digestion à 100%, c’est une trésorerie à 150%

L’éleveur, par la connaissance des symptômes alimentaires, peut se réapproprier la maîtrise de l’alimentation de son troupeau. Pour y parvenir, un vétérinaire, Bruno Giboudeau a élaboré une méthode d’interprétation des signes physiologiques appelée Obsalim. A la clé d’importantes économies et une meilleure santé des vaches laitières. Interview.

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Nathalie Petit (NP) : « Voilà 4-5 ans, vous avez développé une méthode unique et originale de diagnostic et de réglage alimentaire fondée sur l’observation des bovins : Obsalim. Comment la définiriez vous en quelques mots ? »
Bruno Giboudeau (BG) :
  Je la dirais avant tout pragmatique. Je compare la conduite d’élevage à la conduite automobile. L’observation de l’animal nous renseigne sur la manière dont il intègre son régime alimentaire. Pour qui sait lire et interpréter les signes que donne l’animal, il devient très facile de conduire un troupeau dans la performance et sans pathologies. Ma méthode fournit un code de la route pour décrypter les signes observables. Il y a des panneaux indicateurs qu’il faut savoir décoder, et tout cela se lit sur l’animal, de manière directement accessible. Et c’est beaucoup plus rapide et beaucoup plus efficace que les approches numériques, qui conduisent à des erreurs manifestes. Le système prévisionnel mis au point par l’Inra et adopté par toute la collectivité agricole prévoit les valeurs des aliments et les fait correspondre aux besoins des animaux. Si cette approche de la nutrition par le calcul est arithmétiquement juste, elle est souvent biologiquement fausse, les résultats de production et la santé des élevages nous le prouvent au quotidien. Dans la réalité, ça ne marche pas. Les analyses que j’ai établies « dynamique de digestion » mettent en évidence des mesures de 0 à 40% d’erreurs par rapport aux valeurs théoriques alimentaires.


Les symptômes visibles de croûtes noires et écoulements sont des signes liés à des excès énergétiques (énergie fermentescible) (© crédit photo Bruno Giboudeau )
NP :  A partir de l’observation des yeux, des pieds, du poil, de la robe, des bouses, de l’urine et autres indicateurs, vous parvenez à établir un diagnostic précis de l’état de santé et des besoins de l’animal. Comment êtes vous parvenu à établir cette correspondance ?
BG :
  C’est un savoir issu d’une pratique sur le terrain et le résultat de 15 ans de recherches. Cela n’est pas fondé sur un ressort théorique, mais c’est ce qui marche dans les élevages. Toutes ces données factuelles sont parties de l’observation du terrain. Le troupeau nous montre en permanence des signaux physiologiques simples à reconnaître. C’est un système redoutablement efficace qui m’étonne encore tous les jours par sa pertinence. J’ai même décrypté des erreurs alimentaires masquées par des médicaments. Par les signes émis par les animaux, j’ai retrouvé une administration de correcteurs hépatiques qui permettaient aux vaches de tenir le coup. Cette méthode offre aussi la possibilité de dater les événements, je peux dire il y a huit jours, un changement important a été apporté au niveau de la matière azotée. J’ai même découvert des pannes de Dac (distributeur automatique de concentrés). 


Présence de croûtes jaunes :excès d'azote dégradable ou trop rapidement ingéré (© crédit photo Bruno Giboudeau)
NP : Quelles sont les erreurs alimentaires les plus fréquentes que vous observez dans les élevages laitiers ?
BG :
Le phénomène rencontré le plus fréquemment est un problème de stabilité ruminale. Pour que le rumen fonctionne correctement, la stabilité du pH de la panse est indispensable. Parfois, la stabilité ruminale est perturbée par des variations de consommation d’aliments d’un jour à l’autre, par une distribution des repas non organisés en fonction de la digestibilité des fourrages ou par une manière de distribution inadaptée. Tout ce qui est de nature à perturber la régularité des consommations et un ordre inadapté des aliments dans les repas influe sur la stabilité ruminale. Cela peut être simplement un problème de béton glissant, de bêtes non parées qui font qu’elles se nourrissent de manière irrégulière.
Dans ce type de problématique, il convient d’identifier en premier les aliments à risque et deuxièmement de protéger ces aliments à risque par des aliments salivogènes fibreux dont les fourrages grossiers. Là encore, c’est l’observation de l’animal qui renseigne sur la nature acidogène ou non du fourrage davantage que les valeurs nutritionnelles théoriques. Ainsi, on se met aujourd’hui à découvrir que des luzernes traditionnellement considérées comme ayant un pouvoir tampons peuvent se révéler acidogènes, je l‘ai mesuré par des analyses.
J’observe aussi que l’on propose aujourd’hui à des éleveurs de conduire plus de vaches laitières qu’il n’y a de places au cornadis (par exemple 60 contre 50). La conséquence est que ces animaux  mangent de façon irrégulière et la productivité de l’ensemble du troupeau s’en trouve affectée. Je dirais enfin que la deuxième erreur alimentaire la plus fréquente est la suralimentation des vaches laitières.

« La zone de pelage appelée phG (en arrière de l’épaule, sous l’échine) est très réactive aux variations de pH dans le rumen », explique Denis Fric, vétérinaire membre du GIE Zone Verte (*). « Un hérissement de poils dans cette zone est observable deux heures après l’ingestion d’aliments acidifiants. L’absorption de foin au préalable permet de créer un tapis fibreux qui ralentit la solubilité de ces aliments. De même la mastication créée va produire beaucoup de salive. Le nombre de coups de mâchoires par cycle de rumination peut être révélateur d’un déséquilibre. S’il est inférieur à 40, les animaux ruminent très rapidement, il y a un manque de fibres longues et résistances. S’il est supérieur à 60, au contraire c’est un excès de fibres longues et résistantes, pouvant entraîner un déficit en énergie fermen! tescible et en azote soluble. » (© Gie)

Une méthode Obsalim déroulée en 4 étapes

Quand il arrive dans un élevage, Bruno Giboudeau, concepteur de la méthode Obsalim commence en première étape par une observation générale du troupeau de loin, sans le déranger. « Bien-être et rentabilité d’un troupeau sont appréciés par son homogénéité pour les tendances corporelles (propreté et état d’entretien) et la vitalité des animaux ». A l’issue de cette première étape, le vétérinaire repère l’éventuelle existence d’un problème sur le troupeau ou de marges possibles d’évolution.
Dans une deuxième phase, l’étape orientation permet de cerner où se situe cette marge d’évolution en déterminant l’incidence du logement, de l’alimentation ou d’une pathologie interne sur le problème. « Ce n’est pas la peine d’aborder la consommation si au préalable on n’a pas réglé le bâtiment », précise le praticien. Dans cette étape, il utilise un outil appelé « Croix du Grasset », basée là encore sur l’interprétation de signes physiologiques.
Si le problème est de nature alimentaire, alors il est nécessaire d’analyser l’effet ration sur le troupeau et c’est l’objet de la troisième phase par une appréciation de la stabilité ruminale, « nécessaire condition au fonctionnement de l’usine bactérienne qui fait la spécificité et la performances des ruminants. »
Dans une quatrième étape, le vétérinaire procède à l’encadrement des apports énergétiques, azotés et les fibres entre carences et excès sur leur efficacité (Énergie fermentescible et globale, azote fermentescible et global, fibres fines et fibres structurantes). La lecture de l’ensemble des zones d’observation de l’animal permet l’analyse et le diagnostic du statut alimentaire du troupeau. Le réglage alimentaire devient alors possible.

NP :  Voulez vous dire qu’il existe encore des marges de progrès ?
BG :
  Absolument. Nous sommes dans une société agricole qui gaspille énormément. En travaillant au réglage alimentaire, nous travaillons sur des leviers financiers importants avec à la clé d’importantes économies à réaliser. La semaine dernière, j’ai eu l’exemple dans un Gaec à trois associés en Haute-Saône. Depuis l’application de la méthode et les adaptations alimentaires apportées, chacun des associés dégage environ 1000 € d’argent de poche par mois en marge nette, dû au gain direct lié au réglage alimentaire. Nous avons à la fois diminué la quantité de concentrés et réduit le temps d’accès au fourrage tout en maintenant la même production, autant de lait avec des coûts de production beaucoup moindres
De plus, tous les signes observables que j’ai décodés sont identifiables avant l’apparition des pathologies en élevage et les éleveurs qui utilisent la méthode ont fait disparaître les grandes pathologies sur leur élevage. Par un bon réglage alimentaire, on participe aux deux tiers à la bonne santé de l’animal, le reste venant de la génétique, du logement, du matériel, du microbisme.

NP : Cette méthode trouve-t-elle depuis 4 ans un bon écho dans la profession agricole ?
BG :
  Le livre « Les vaches nous parlent de leur alimentation » s’est vendu à 5 000 exemplaires, lus par deux éleveurs en moyenne. Si les producteurs bio ont été les premiers à s’y intéresser, aujourd’hui les trois quarts des élevages dans lesquels j’interviens ne sont pas en agriculture biologique. Pour ce qui est du développement de la méthode, je suis confronté à un système de pensée unique relayé par les instituts agricoles. Les choses de bon sens ont parfois du mal à s’imposer. Cependant aujourd’hui, des contrôles laitiers et des chambres d’agriculture s’intéressent à la démarche.
Les éleveurs ont abandonné l’observation des phénomènes vivants. Avec l’apprentissage de cette méthode, ils gagnent en esprit critique et lucidité, ils deviennent les nutritionnistes au quotidien de leur élevage.

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